Gertrud
Refusant tout ce qui n’est pas conforme à son désir immédiat, Gertrud n’accepte aucun compromis. Trois hommes ambitieux, auxquels elle renonce tour à tour, traversent sa tragédie… Le destin d’une femme en quête d’un amour absolu dans la société bourgeoise du XIXe siècle.
Gertrud est la tragédie d’une femme qui renonce radicalement à tout ce qui n’est pas en accord avec son désir immédiat et n’accepte aucun compromis. Elle ne veut pas vieillir, rester figée alors que le temps passe. Elle est une Nora, une Hedda Gabler qui ne se suicide pas. Elle va de l’amour à la solitude, mais son renoncement ne la conduit pas dans l’impasse. Elle ne va ni vers la mort, ni au couvent, mais ailleurs. Elle quitte le monde, cette société étriquée et médiocre qui la vide et ne lui offre pas la possibilité de vivre son rêve d’amour. Personnage en mouvement, si elle s’arrête, quelque chose en elle meurt. Le vide qu’elle ressent est un appel. Ce qu’elle nomme l’amour : une étreinte de l’âme et du corps.
La réflexion sur l’amour au cœur de la pièce est étroitement liée au politique. Söderberg décrit le conflit entre la réussite sociale et l’amour en dénonçant la corruption de l’être dans la célébrité. Il réalise une critique féroce de l’arrivisme en exposant des personnages rongés par leur ambition. La reconnaissance sociale n’est pas une garantie du bonheur et les personnages de Gertrud en font tous l’amère expérience. Leur désir intarissable de reconnaissance en amour, en art, en politique, les conduit tous à une solitude extrême. Gertrud aborde ces thèmes avec simplicité, on se reconnaît immédiatement dans les mots de ces personnages. La pièce est à la fois épurée et d’une grande densité, Hjalmar Söderberg parvient à intensifier le réel et à photographier les âmes de ses personnages. Figures symboliques d’une société bourgeoise de la fin du XIXe siècle : l’avocat, l’écrivain, le compositeur, trois hommes, trois destins liés à Gertrud. Chaque phrase nous renvoie à nos doutes, nos batailles.
J’ai souhaité une mise en scène épurée, chorale et chorégraphique afin de représenter physiquement ce conflit du corps et de l’âme au cœur de la pièce. L’enjeu pour l’interprète, à travers ces personnages qui font le récit des sentiments qui les traversent et les bouleversent, est de trouver l’émotion du langage parlé, la sensualité de la parole et de la pensée, son corps, son érotisme. Gertrud est chanteuse, une cantatrice reconnue. La musique, l’opéra, au cœur de l’intrigue et de l’essence de la pièce, traversent le spectacle. Maria Callas, Montserrat Caballé, Nina Simone ont hanté et inspiré la création musicale pour constituer un paysage sonore, une composition contemporaine inspirée par leurs chants et leurs arias. Un dialogue entre les époques s’inscrit dans tous les aspects de la mise en scène, de la musique en passant par le décor ou les costumes, il crée l’intemporalité nécessaire pour que les spectateurs s’identifient, non pas à une époque particulière, mais à l’intemporel de la représentation […]
Comme Ingmar Bergman, Söderberg regarde à travers le miroir. Le miroir, c’est se regarder avant d’être soi-même regar-dé, exposé, c’est le visage qu’on prépare, pour savoir qui on est. Si l’objet miroir n’a aucun sens en soi, il ne trouve sa valeur et son sens que s’il reflète quelque chose. Ici, c’est la vie même qu’il réfléchit.
Jean-Pierre Baro