Le Pays de Rien

Imaginez un pays où rien n’existe : ni les chats, ni les rires, ni l’imaginaire, ni la couleur. Imaginez que dans ce pays, un homme règne en s’acharnant à supprimer toute trace d’amour et de poésie. Imaginez que la fille de ce roi ait l’intuition que la vie pourrait être autrement… L’arrivée d’un étranger ouvrira bientôt une brèche dans ce royaume froid et vide. Ce vent de révolte aura la puissance de la douceur, mais pourra-t-il faire tomber les murs du silence ? Dans ce conte philosophique, Nathalie Papin nous invite à nous interroger de façon sensible et critique sur notre drôle de monde. Elle nous pose la question du choix et de la liberté. Par son travail du son et de la lumière, la metteure en scène Betty Heurtebise habille ce récit avec subtilité, rendant perceptibles les désirs et les émotions des personnages.

Portrait de Raoul

Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte ?
Engagé comme costumier à la Comédie-Française, il finit par donner la réplique à Catherine Hiegel sur scène. Et c’est Copi, en lui offrant un jour une perruque blonde, qui va révéler l’actrice qui sommeille en lui… La vie de Raoul Fernandez est ainsi remplie d’histoires étonnantes, dignes d’un roman. Comment ce jeune homme passionné de couture, fraîchement débarqué du Salvador, va devenir comédien et travailler sous la direction des plus grands ? De fil en aiguille, il nous raconte son passage de l’ombre à la lumière. Les mots de Philippe Minyana et la mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo enveloppent avec délicatesse les extravagances de Raoul. Entrant sous les projecteurs les bras chargés de tissus, l’acteur les dépose et les déroule au sol au fil de ses confidences, nimbant le plateau de sa présence flamboyante.

Monstres on ne danse pas pour rien

À la fin de l’année 2015, DeLaVallet Bidiefono inaugurait le centre chorégraphique qu’il venait de fonder dans la périphérie de Brazzaville, bâtissant ainsi un lieu indépendant chargé d’espoir. Entouré de sept danseurs, de trois musiciens et d’une performeuse, il évoque dans Monstres la construction de ce lieu. Sur le plateau, le rythme entêtant de la guitare, de la basse, des percussions et du chant rencontre un texte puissant et la danse endiablée des interprètes, qui semblent pris dans un tourbillon d’énergie à faire exploser tous les cadres. Insoumis et déterminés, les corps portent l’élan vital de la rage et de la révolte. Car édifier un lieu dédié à la danse, évidemment, c’est croire que l’art peut un peu changer le monde, c’est se projeter vers l’à venir.

Gus

Gus, le chat, est un drôle de héros perdu entre colère et mélancolie, entre l’envie de se faire câliner et celle de donner des coups de griffes. Quand Sébastien Barrier l’a rencontré, il a eu envie de lui dédier son quatrième spectacle, en s’adressant pour la première fois aux enfants. En mots, en images et en musique, il compose une cartographie sensible de Gus : une performance d’équilibriste où se télescopent les accords de rock, les salves d’humour mordant, de tendres poèmes d’amour et des digressions loufoques. Traversés de sensations félines, de fous-rires et de questions sur la vie, on voit doucement s’estomper les frontières entre l’humain et l’animal, et l’on ressort conquis. Si Dieu a inventé le chat pour que l’homme ait un tigre à caresser, Gus nous a appris à aimer et libérer notre tigre intérieur.

C’est une légende

Comment la danse vient-elle bousculer son époque ? Quels échos résonnent encore aujourd’hui de ces éclats de
modernité? Le chorégraphe Raphaël Cottin nous donne à voir
et à entendre une histoire de la danse, sous la forme d’un conte structuré en six chapitres. On traverse les époques, de l’académisme sous Louis XIV à la théâtralité de Pina Bausch, en passant par l’abstraction d’Alwin Nikolaïs. Dans une scénographie modulable faite d’élastiques, d’un cube noir et d’un cyclo blanc, les deux danseurs évoluent sur la scène qui devient piédestal, lignes abstraites, jardin, pièce imaginaire ou bain de couleurs… Raconté par la voix d’une comédienne, ce «livre de la danse» nous enseigne joyeusement que la poésie du mouvement et l’autonomie du corps sont liées à celles de la pensée !

Romance

Jour après jour, sur le chemin qui nous mène de l’école à la maison, notre regard s’ouvre sur le monde. Jour après jour, au fil de notre imagination, le quotidien bascule dans la grande aventure. On rencontre un Inconnu au grand cœur, un Oiseau, un Farfadet, une Reine, une Sorcière… Un sort est jeté et le monde se renverse ! Déjouant alors mille embûches, il faudra coûte que coûte retrouver le chemin de la maison pour que le jour puisse à nouveau se lever. En adaptant Romance, l’imagier étonnant et inventif de Blexbolex (Pépite d’or du salon de Montreuil 2017), La SoupeCie déploie avec effervescence un vaste univers de machineries, d’images découpées et projetées, de marionnettes et de trouvailles visuelles. Mêlant la sensibilité et l’éclat, les sons et la musique portent cet extravagant récit de péripéties en péripéties.

Penthésilée

Penthésilée, jeune reine des Amazones nouvellement couronnée, est follement éprise d’Achille, jeune héros grec. Cet amour – qui est réciproque – est cependant conditionné par la nécessité de conquérir l’être aimé sur le champ de bataille. Achille accepte par conséquent de se faire passer pour prisonnier de Penthésilée, alors qu’en réalité elle est sa captive. Mais le subterfuge, loin d’apaiser les craintes de la reine, va déchaîner sa fureur… Sylvain Maurice adapte le chef-d’œuvre de Kleist et offre un rôle magistral à Agnès Sourdillon. Il a imaginé une représentation qui joue librement avec les formes, passant du récit épique à la situation intimiste, du chant amoureux à la musique guerrière, dans la continuité de son travail pour Réparer les vivants. Dans une mise en scène épurée reliant théâtre et musique, l’interprète magnétique de Valère Novarina incarne cette héroïne puissante qui tente de se dégager d’un héritage trop lourd. Entourée de quatre chanteuses et deux musiciens, elle porte la passion à incandescence.

Bérénice

Par amour pour Titus, Bérénice fait le choix d’abandonner les siens, sa patrie, sa religion. Mais le peuple romain, qui désapprouve l’union de leur empereur avec une étrangère, pousse Titus à répudier celle qu’il aime… Racine atteint le sommet de son art dans cette tragédie, l’une des plus belles du théâtre. Traversée de vers incandescents, elle brille dans le répertoire par sa fin singulière : l’héroïne, qui a pourtant tout perdu, n’est pas contrainte de renoncer à la vie. Marguerite Duras imaginait même le retour de Bérénice en Galilée, dans son court-métrage de 1979, Césarée. La mise en scène de Célie Pauthe ravive chaque instant de ce chef-d’œuvre ; elle nous en fait éprouver l’intensité des phrases, le rythme des respirations. Et elle parvient avec grâce à y faire entrer, en contrepoint, les mots et les images de Duras.

La Vrille du chat

On dit que les chats retombent toujours sur leurs pattes et qu’ils ont neuf vies. Car le chat, toujours, échappe au danger. Dans La Vrille du chat, cinq artistes circassiens agiles comme des félins revisitent l’art de l’acrobatie. Sous l’œil avisé d’un matou noir énigmatique, ils évoluent dans un décor ingénieux et protéiforme. À partir de situations ancrées dans le quotidien, ils composent un thème narratif et le déclinent à l’infini, usant avec humour et virtuosité du ralenti, de l’accélération, du stop motion ou encore de la marche arrière. Ils ont quelque chose de Tati et de Buster Keaton, ces acrobates formés à Bruxelles, Montréal et San Francisco, avec leurs corps muets et paradoxalement si éloquents. Complices de longue date, leur joie d’être ensemble se propage en plaisir contagieux.

[3aklin] Jacqueline Ecrit d’Art brut

Ils s’appellent Annette, Jacqueline, Jules, Sacha… Leurs textes témoignent d’un même besoin vital de s’exprimer, en dehors de toute tradition et norme esthétique. De leurs jaillissements spontanés et inventifs, qui interloquent autant qu’ils enchantent, Olivier Martin-Salvan puise la matière d’un spectacle théâtral réjouissant. Il fait entrer en résonance ces textes étranges, souvent drôles, parfois visionnaires, toujours profonds. Poussant son jeu et son corps dans leurs retranchements, il offre une performance à la limite de la transe, ponctuée par les chants et paysages sonores de Philippe Foch. Leur duo nous emplit de ces voix marginales, inconnues de la littérature et pourtant essentielles, comme un éblouissement, une poésie brute qui nous habitera longtemps.